L'annonce en 209

209 est le numéro de la table de l'unique alcôve de la salle de restau dans laquelle durant les break, Manager s'entretient avec le staff. Cette minuscule pièce est symbolique puisqu'elle est celle où j'ai eu mon tout 1er entretien en octobre 2004, puis celle où j'ai lu, papoté, mangé et même essayé vainement de faire une sieste. Cette fois-ci je n'allais rien faire de tout cela ni y mener des clients. J'y allais pour annoncer la grande nouvelle: Je pars! Ce moment allait être particulier, d'une grande émotion et inoubliable.

C'était difficile de me lancer et je m'attendais à des reproches, un manque de compréhension et un conflit. Je n'étais donc pas rassurée et j'étais terrifiée, la boule au ventre.

J'ai commencé un peu comme ça je crois: " Ce que j'ai à vous dire n'est pas facile à annoncer et je ne l'avais pas prévu. J'ai pris une décision qu'il m'a été extrêmement difficile de prendre mais j'y ai bien réfléchi . C'est très soudain et ça me côute beaucoup de vous l'annoncer comme ça mais j'ai décidé de rentrer en France plus tôt que prévu c'est à dire lundi". Voilà soulagement, ça y est c'est dit!

Réaction spontanée: "Pourquoi?"

J'ai besoin de rentrer en France pour des tas de raisons: Je dois me rendre disponible pour passer des entretiens pour trouver un emploi. Je ne m'épanouis plus depuis longtemps déjà dans mon travail comme vous l'avez bien sûr constaté (vu les erreurs quotidiennes, ce qu'il a bien entendu confirmé avec accompagement de rires). J'ai besoin d'être près de mes proches en partie parce que mon grand-père est malade, et puis la vie içi à Londres ne me plaît plus. J'ai été pas mal déçue par quelques personnes içi ces derniers temps..."

Très compréhensif, il m'a questionné sur mon mal de vivre qu'il avait déjà remarqué ces derniers mois. Je lui ai répondu que depuis longtemps déjà j'étais plus vulnérable et plus susceptible, facilement stressée d'un rien et à me mettre dans des états pitoyables au moindre problème. J'ai ajouté que j'ai eu et je continue encore parfois à me sentir triste au travail comme à l'extérieur et que c'est la raison pour laquelle je dois rentrer en France. Il m'a demandé si j'étais sure que ce soit pour moi le moyen d'aller mieux. J'ai répondu que oui, que c'est justement le fait d'avoir des projets et d'essayer de trouver un travail plus en accord avec mes études, qui me fait croire à mon mieux-être.

Il a bien sûr évoqué le fait qu'il fallait me remplacer et qu'il aurait préféré que je prévienne 1 semaine avant mais que l'agence lui enverrait des entretiens rapidement. Donc je ne culpabilise pas! C'était émouvant car j'ai bien vu qu'il n'était pas le gros dur habituel et qu'il était attendri par cette nouvelle et il m'a dit qu'il me souhaitait sincérement de trouver ma voie et que je garderais toujours une place dans son coeur (et que c'est aussi pour ça qu'il m'a gardé malgré mes bourdes). Et parce que je sais rester accueillante et souriante.

Après ça, bien sûr pendant le service et devant les autres il a fait style " je suis distant, je m'en fous que tu partes et je continue à te "faire chier" mais le connaissant bien après ces 1 an et demi auprès de lui à le voir agir et réagir je savais que c'était pour mieux cacher cette évidence: "j'allais lui manquer!" ce qu'il m'a admis le lendemain jour de mon départ. Flagrant le décalage entre l'homme attentif et ému qu'il était en 209 derrière le rideau et l'ignorance qu'il affichait désormais en salle mais tellement révélateur de sa fierté et de la réputation qu'il a à tenir ! Je me suis alors souvenue d'une lettre de mon ex-collègue L dans laquelle elle l'avait qualifié de "grand dur au coeur tendre" expression que je trouvais inappropriée à ce moment là tant je trouvais Manager méprisable et sans pitié. Eh bien elle avait raison!